Exposition 03.03.2025 - 29.06.2025

Azzedine Alaïa, Thierry Mugler

1980-1990 deux décennies de connivences artistiques
Sous le commissariat d'Olivier Saillard

Nous sommes très influencés l'un par l'autre. Thierry Mugler

Azzedine Alaïa, Paris 1982 ph. Alice Springs © Helmut Newton Foundation - Thierry Mugler, Monte Carlo 1984 Alice Springs © Helmut Newton Foundation

Installé à Paris dès 1956, Azzedine Alaïa doit sa formation aux femmes, amies et clientes plus qu’à aucune école d’apprentissage. Dans leurs vœux d’une garde-robe exigeante et discrète, il les accompagne. Grand couturier qui n’a rien perdu de la proximité qu’une séance d’essayage ou de coupe impose, Azzedine a acquis la réputation de grand coupeur héritier d’une tradition académique qui le situe en ligne directe de Cristóbal Balenciaga ou Madeleine Vionnet.

Son expertise et sa virtuosité technique ne sont pas seulement convoitées par les élégantes du moment. Des couturiers et des créateurs de mode savent qu’ils peuvent éventuellement compter sur lui pour préciser certains modèles complexes ou prêter main forte sur une collection à terminer. C’est le cas ponctuel de Yves Saint Laurent. Ce fut aussi celui de Thierry Mugler, qu’Alaïa rencontre en 1979 et avec lequel il noue de véritables liens d’amitiés.

Pour sa collection automne-hiver 1979-80, Mugler invite Alaïa à réaliser la série de smokings de son défilé et n’hésite pas, bon joueur, à le remercier publiquement dans le dossier de presse qui accompagne la présentation de ses créations cette saison-là. Dans les mains de celui qui n’a jamais voulu transgresser les lois de la coupe, les tailleurs-pantalons grain de poudre et satin acquièrent une forme de notabilité et de fluidité appréciée. Cette collaboration incite Alaïa à devenir créateur lui-même. Thierry Mugler l’encourage vivement et témoigne envers lui d’un soutien qui se révèlera capital autant qu’indéfectible. Rue de Bellechasse où Azzedine a installé ses ateliers, Mugler, toujours flanqué de sa bicyclette, fait venir les plus grandes journalistes de mode. En 1982, à la demande du grand magasin américain Bergdorf Goodman, Alaïa présente un défilé à New York. C’est Mugler qui l’en persuade, Alaïa imaginant que cette invitation est une plaisanterie qu’il lui fait ! Le créateur ami et admirateur l’accompagne, organise et construit le défilé lui-même, répond et traduit les interviews, soutient son camarade dans les moindres tâches ce qui lui vaudra une éternelle reconnaissance. L’été, ils passent leurs vacances ensemble en Tunisie chez l’amie de toujours Latifa et chez Leila Menchari.

Compagnons de route d’une décennie qu’ils ont préemptée stylistiquement, Alaïa et Mugler ont librement laissé les influences agir sur leurs créations mutuelles. Dans les années 1980, tous deux ont divinisé la femme, proclamant le retour du glamour en gloire et Hollywood pour inspiration à mille lieux des modes folkloriques des années 1970. Ils partagent une silhouette commune où les épaules en majesté contrastent avec les tailles étranglées et les hanches épanouies, souvenirs et fantasmes des modes des années 1930 et 1950 et des couturiers Adrian, Jacques Fath, Christian Dior et Cristóbal Balenciaga en tête.

Si Mugler a le sens du show jusqu’à orchestrer le plus grand défilé de ses créations et ses fantaisies en 1984 au Zenith, Alaïa a le goût de l’intime et de la perfection. Mais c’est avec communauté d’esprit que leurs collections se répondent. « Depuis notre rencontre, dira Thierry Mugler au sujet de son ami, mes vêtements sont moins abstraits, davantage dans le réel, le corps s’y sent plus à l’aise et les siens ont quelque chose de plus percutant (…) Je crois qu’avec moi, Azzedine Alaïa a pu s’affranchir, disons se libérer pour passer à des tailleurs aux lignes plus ergonomiques et sinueuses. ».

Il est frappant de voir à quel point les créations d’Alaïa ont emprunté le charisme des silhouettes dont Mugler griffait par centaines ses défilés alors que le premier se concentrait sur quelques-unes seulement.

Unis par « un coup de foudre réciproque » Mugler montre toujours ses collections au jeune couturier en avant-première. Il consent même que Zuleika, sa muse de toujours, Mirabelle sa collaboratrice non moins attitrée, épousent la famille et la société Alaïa qu’il soutient solidement dans son épanouissement.

Contemporains, amis, disparus à quelques six ans d’intervalle, les deux créateurs ont tout au long de leur vie manifesté un profond respect pour leurs carrières respectives. Leurs vêtements, du jour comme ceux du soir se répondent dictant une mode à quatre mains, paraphe des modes contemporaines.

 Couturier et collectionneur à l’origine d’un patrimoine de mode immense et reconnu, Azzedine Alaïa a préservé plus de 200 créations griffées Thierry Mugler dont une quarantaine sont ici exposées en dialogue avec ses propres archives.

Je l'ai aidé à faire les démarches pour lancer officiellement sa griffe. Thierry Mugler

Thierry Mugler, Azzedine Alaïa, Sidi Bou Saïd, vers 1980